Augmentation du budget français de la Défense : quel sens stratégique ?

Augmentation du budget français de la Défense : quel sens stratégique ?

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Le projet de loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 qui inscrit le financement de la stratégie de défense militaire de la France dans une logique pluriannuelle a été adopté en Conseil des ministres le 8 février dernier. Ce texte se démarque des lois précédentes par un « effort budgétaire inédit » (selon les termes du Président Macron) avec l’allocation de moyens substantiels à la Défense qui pourraient atteindre 295 milliards d’euros à l’horizon 2025 soit 2 % du PIB de la France.

Selon les prévisions de la LPM, le budget de la Défense estimé à 34 milliards d’euros en 2018 devrait connaitre une hausse d’1,7 milliard d’euro par an jusqu’en 2022, il reviendra ensuite au gouvernement issu de la prochaine élection présidentielle d’intensifier l’effort pour parvenir à 3 milliards par an. La LPM intègre les priorités stratégiques et les défis identifiés par la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale publiée en octobre 2017 qui remplace les précédents livres blancs et actualise la réflexion de 2013 en prenant acte de la nouvelle donne stratégique mondiale.

Dans ce document l’accent est mis sur le danger auquel concourent la croissance des menaces asymétriques, la prolifération de systèmes d’armes conventionnels sophistiqués et le militarisme à outrance des Etats. Le ton général du texte est celui de la nécessaire remise à niveau sur le plan de la modernisation technologique face au constat d’une compétition acharnée entre grandes puissances pour la maitrise des systèmes de technologie de pointe. « L’émergence et la diffusion de nouvelles technologies, sources d’opportunités, remettent aussi en cause la supériorité technologique des armées occidentales et fragilisent leurs industries de défense » affirme la revue qui reflète la prise de conscience de l’impératif de réajustement de la France dans un contexte global de course à l’armement.

Pour Francois Géré, Historien, spécialiste en géostratégie et président fondateur de l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS), l’objectif est celui « d’une remise à niveau d’une défense en déclin qui a perdu près de 60 mille effectifs et qui souffre à la fois d’une pénurie d’équipements et d’un retard de modernisation.

La LPM traduit la volonté de retrouver un niveau perdu en fournissant les moyens de régénérer l’armée et moderniser ses équipements ». Une partie significative du budget est affectée à la modernisation de la dissuasion nucléaire pour permettre à la France de maintenir son seuil de puissance. « La France a besoin de renouveler les sous-marins nucléaires et les missiles air-sol de moyenne portée, soit les deux vecteurs de la dissuasion qui coûtent extrêmement chers. Ces programmes de modernisation de la technologie nucléaire sont au coeur de la puissance de la France telle que l’a défini Charles de Gaulle » rappelle Pierre Conesa, agrégé d’histoire, énarque et ancien membre du Comité de réflexion stratégique du ministère de la Défense qui explique que ce besoin s’accompagne de la nécessité de moderniser les moyens de défense conventionnels (blindés, patrouilleurs de la marine etc).

Mais le spécialiste des questions stratégiques internationales et en particulier militaires note que l’augmentation des crédits alloués à la Défense n’est pour l’instant qu’un engagement moral et non budgétaire. La loi de programmation doit en effet être soumise au Parlement l’été prochain et présente de nombreux aspects hypothétiques. « En dehors de la première loi de programmation militaire, toutes les autres se sont heurtées aux contraintes budgétaires. Bien que Macron ai annoncé que les engagements sont “couverts de manière ferme” jusqu’en 2023, il n’y a aucune garantie que le prochain gouvernement pourra s’y conformer » précise Pierre Conesa.

Par ailleurs, dans un contexte géopolitique en mutation, les intérêts et les défis stratégiques sont en pleine phase de redéfinition. Si pour l’instant la représentation stratégique française est distanciée de l’approche américaine, il n’est pas exclu qu’à l’avenir elle puisse présenter davantage de convergences.

Comme le souligne Francois Géré «la perception des défis et des menaces est aujourd’hui sensiblement différente de celle des Etats-unis. Dans le Nuclear Poster Review 2018, le Pentagone présente la Chine et la Russie comme des concurrents stratégiques sur la scène internationale, et qualifie la Corée du Nord et l’Iran de « menaces ». Ceci est discutable et ne correspond pas à la perception française qui ne se reconnait pas d’ennemis en dehors de la menace terroriste et du programme balistique de Pyongyang ».

Ce constat rejoint en partie celui de Pierre Conesa qui relève un changement de posture stratégique de la France depuis l’arrivée au pouvoir du président Emanuel Macron qui a repris langue avec son homologue russe en dépit des antagonismes persistants sur la Crimée et l’Ukraine. L’expert dénonce au passage le deux poids deux mesures (au nom d’un discours stéréotypé initial sur la démocratie et les droits de l’homme) qui caractérise les relations de l’Europe avec Moscou. « La sécession de la Crimée voulue par Moscou est la même que celle que les Occidentaux ont reconnu avec le Kosovo rendu indépendant de la Serbie » note-t-il.

Dans la configuration actuelle revêtue par la globalité de la menace sécuritaire et la volatilité des alliances traditionnelles qui alimentent le constat de la ministre française des Armées Florence Parly selon lequel les Français ne peuvent « être certains de compter, partout et toujours » sur leurs « partenaires traditionnels », la Revue stratégique préconise le maintien d’un « modèle d'armée complète » et d’une double ambition, celle de  « préserver l’autonomie stratégique » de la France et d’« aider à construire une Europe plus forte, face à la multiplication des défis communs ».

Le retour spectaculaire à l’unilatéralisme américain a relancé le débat sur l’autonomie stratégique de l’Union. Francois Géré explique qu’il s’agit de l’objectif recherché par la France et l’Allemagne qui « souhaitent une coopération renforcée sur les plans économique et industriel pour développer des capacités de défense plus autonomes mais toujours dans le cadre de l’alliance atlantique ».

Pierre Conesa relève effectivement que l’autonomie stratégique renvoie exclusivement au développement des capacités stratégiques « d’évaluation » à travers les moyens satellitaires et de ciblage qui permettraient aux Européens de contester l’appréciation des crises portée par les Américains preuve à l’appui. En revanche, « s’agissant des moyens militaire de gestion des crises, les Européens restent totalement dépendant de l’Alliance atlantique dans la mesure où tous les pays réunis ne disposent pas du panel des forces du programme de défense du Pentagone ».

C’est pour réduire cette dépendance aux moyens Américains que la LPM a prévu des investissements importants en matière de renseignement avec l’acquisition d’un éventail de satellites d'imagerie de renseignement électromagnétique et d’écoute. Mais la construction de cette autonomie stratégique se heurte à l’absence d’une culture européenne de Défense unifiée. Il existe une « dissonance profonde entre des pays comme la France qui veulent neutraliser la menace en prenant part à des opérations extérieurs et les pays scandinaves qui à l’instar de la Suède appellent à la neutralité » conclut Pierre Conesa.

Lina Kennouche
lundi 19 février 2018